Acide (sour), légère et rafraichissante. Tels sont les adjectifs qui définissent le style incontournable qu’est la Berliner Weisse. Une bière blanche, souvent de blé, tellement incontournable qu’on s’est senti obligés de te pondre un article retraçant l’histoire et le profil de cette bière d’exception.
Sommaire
L’histoire de la Berliner Weisse
Alors que la Bavière créait des bières contrôlées par les règles du Reinheitsgebot et que la Lager était le nom d’un jeu d’alcool dans le sud de l’Allemagne, les brasseurs d’autres régions du centre et du nord de l’Allemagne, influencés davantage par leurs voisins brasseurs de Belgique et de Pologne utilisant une fermentation spontanée, que par leurs compatriotes du sud, créaient une recette inédite et acidulée.
En 1573, Heinrick Knaust a écrit sur le brassage allemand et a décrit 150 sortes de bières différentes, la plupart liées à un lieu spécifique. Dans le livre de F.W. Salem intitulé “Beer : Its History and its Economic Value as a National Beverage“, nous trouvons un extrait de la liste de Knaust :
“Il y avait une Lubeck Israel, une vieille Klaus (Bandenburg), une Gosauler Gose, une Hanover Braehan, une Soltzman à Saltzwedel, une Rastrun à Leipsie, une bière de Crovey, une bière de Harlem, un brassin de Dantzie, un brassin d’Eimbecker”.
Malheureusement, la plupart de ces styles allemands variés sont tombés dans l’oubli. Contre toute attente, cependant, certains se sont accrochés en attendant le siècle où un regain d’intérêt pour les styles innovants et aigres (sour) les ressuscite.
C’est le cas de la Berliner Weisse.
Les origines
L’origine de la Berliner Weisse n’est pas bien définie. Certains ont supposé que le style est arrivé avec les Huguenots, des réfugiés protestants fuyant la France catholique vers l’Allemagne au 17ème siècle. En voyageant vers le nord et l’est de l’Europe, ils se sont probablement familiarisés avec les fermentations spontanées/naturelles comme la Flanders Red Ale, l’Oud Bruin et les lambics.
Il est possible que ces pratiques brassicoles aient été utilisées lors de leur installation. Cependant, il n’y a pas de preuves solides pour soutenir cette idée. Surtout que des affirmations selon lesquelles la première documentation historique sur la Berliner Weisse serait antérieure d’un siècle à l’arrivée des Huguenots, a rendu cette hypothèse impopulaire.
Une origine plus probable semble être le développement de la Berliner Weisse à partir de la bière Broyhan. La Broyhan a été brassée pour la première fois en 1526, à Hanovre, par Cord Broyhahn. Il s’agissait d’une bière très pâle, très peu alcoolisée et présentant un certain degré d’acidité. La Broyhan est devenue la bière la plus populaire en Allemagne du Nord pendant deux siècles. Un passage de Christian Heinrich Shmidt, traduit en anglais par Ron Pattinson et inclus dans son livre “The Homebrewer’s Guide to Vintage Beer“, déclare :
“La Broyhahn est très pâle, d’une couleur semblable à celle d’un jeune vin blanc, avec un arôme vineux et un agréable goût sucré mais acide. La Broyhahn se distingue des autres bières blanches principalement par le fait qu’elle est brassée à partir de malt d’orge pur, sans ajout de malt de blé ni de houblon.”
Bien que ce passage affirme qu’il n’y a pas de blé dans la Broyhan, Ron Pattinson fait remarquer qu’en raison de la popularité et de la portée étendue du style, il est probable que de nombreuses formes étaient brassées, souvent avec les céréales disponibles. Il est probable que le blé soit devenu un ingrédient standard lorsque le style Broyhan a évolué vers la Berliner Weisse.
Les premières mentions de la Berliner Weisse font peu référence à l’acidité lactique qui deviendra plus tard une signature du style. En fait, Stan Hieronymus souligne à la page 150 de son livre “Brewing with Wheat” que le livre “Die Berliner Weisse” de 1765 fait même référence aux brasseurs qui tentent d’empêcher leur bière de tourner.
On ne sait pas exactement quand l’acidité lactique est devenue un élément accepté du style, mais au début du XIXe siècle, la Berliner Weisse acidulée était devenue la bière la plus en vogue dans les régions du nord. Entre 1870 et 1900, la production du style Berliner Weisse a commencé à monter en flèche. Même Napoléon Bonaparte est tombé sous le charme de cette bière lorsqu’il a pénétré dans la région au début du 19e siècle, la qualifiant de “champagne du Nord”.
Une bière inclassable ?
De sa production non standardisée à ses saveurs, en passant par la façon dont elle était servie, la Berliner Weisse était, et est toujours, un style de bière que l’on peut juger comme “excentrique”.
La levure de fermentation haute a continué à être utilisée dans sa production malgré la popularité écrasante de la levure de fermentation basse dans une grande partie de l’Europe au 19ème siècle. Un moût à décoction semble avoir été la norme, et ce dernier était rarement bouilli. Le houblon n’était ajouté qu’au moût ou à la première décoction pour faciliter la filtration et ajouter les quelques IBU nécessaires. Parfois, une petite partie du houblon était bouillie et l’extrait ajouté au moût.
Selon un passage du livre “Die Fabrikation obergariger Biere in Praxis und Theorie” (La production de bières de fermentation haute en pratique et en théorie), publié en 1907 par Braumeister Grenell, les premières recettes de Berliner Wiesse utilisaient souvent du malt fumé. Cette bière était vendue jeune et souvent édulcorée lors de sa mise en bouteille par le tenancier. Les pratiques plus modernes associent souvent ce style à de multiples périodes de conditionnement à chaud et à froid. Elle vieillit extraordinairement bien, contrairement à d’autres styles de bière de blé.
En fait, de nombreux brasseurs de Berliner Weisse modernes considèrent qu’un à deux ans de vieillissement sont nécessaires. Pour raccourcir cette période, entre le brassage et la distribution, un lot jeune est parfois mélangé avec un certain pourcentage d’un lot plus ancien et plus raffiné.
L’acidité “acidulée” proviendrait du Lactobacillus delbrueckii, bien que certaines références affirment que c’est le Lactobacillus brevis (bactérie lactique) qui la permet. La souche delbrueckii a été isolée par le biochimiste Max Delbruck à l’Institut de brasserie de Berlin dans les années 1930. Les ingrédients (malt séché à l’air) utilisés pour fabriquer la Berliner Weisse et certaines des pratiques employées (souvent pas d’ébullition et utilisation limitée de houblon antibactérien), la rendaient particulièrement sensible aux infections. Les bactéries ont probablement été ajoutées par accident, du moins au début. Le Lactobacillus a ajouté ses saveurs à celles du profil de la levure, créant ainsi un profil fruité, sec et légèrement acidulé. Les brettanomyces (levures) ont également joué un rôle, car la bière a subi un conditionnement secondaire dans des fûts en bois.
Servir la Berliner Weisse : passé et présent
À son apogée, la Berliner Weisse était servie dans un verre de trois litres, ce qui obligeait le buveur à se faire aider pour soulever et contrôler le verre. Je suppose qu’ils se sont dit qu’une bière excentrique avait besoin d’un verre excentrique. Ce verre peu maniable a ensuite été transformé en un grand gobelet plat, avant de subir une troisième et dernière transformation pour devenir le calice ou le gobelet de la Beliner Weisse que l’on connaît aujourd’hui.
Dans son pays d’origine, la Beliner Weisse est souvent servie “mit Schuss, Himbeere” (avec du sirop de framboise) ou “mit schuss, Waldmeister” (avec du sirop d’aspérule) et on utilise des pailles pour siroter la bière. Les sirops atténuent l’acidité de la bière, mais tout puriste te dira qu’elle doit être dégustée sans cette ajout pour l’atténuer.
La chute et la résurrection de la Berliner Weisse
Comme beaucoup d’autres bières de son époque, la Berliner Weisse a été victime de la popularité croissante et pourtant écrasante de la bière blonde. À la fin du 20e siècle, il ne restait plus que quelques brasseries en Allemagne qui fabriquaient encore ce breuvage autrefois très apprécié. Au tournant du siècle, il n’en restait que deux, Berliner Kindl et Schultheiss.
Aujourd’hui, ces deux brasseries appartiennent au groupe Oetker, qui produit toujours une Berliner Weisse.
Toutefois, avec le regain d’intérêt pour les styles historiques suscité par le mouvement de la craft beer, d’autres brasseries berlinoises ont répondu à l’appel. La Berliner Weisse est également devenue populaire dans d’autres pays.
Aux États-Unis, des bières comme la Festina Pêche de Dogfish Head, sortie en 2007, et la Hottenroth de The Bruery, sortie en 2008 ont été quelques-uns des premiers exemples d’une tendance annonçant le retour du style à une petite partie de sa gloire passée… Et cette tendance continue de croître aujourd’hui.
Voir cette publication sur Instagram
Profil et caractéristiques
Les directives pour la Berliner Weisse sont établies par le comité de style du Beer Judge Certification Program (BJCP). Les détails ci-dessous sont un résumé de ce que doit représenter une Berliner Weisse.
Le BJCP classe le style de bière Berliner Weisse dans la catégorie 23, “European Sour Ale“, et on peut le trouver dans la sous-catégorie (23A).
Les autres styles comprennent :
- 23B – Flanders Red Ale
- 23C – Oud Bruin
- 23D – Lambic
- 23E – Gueuze
- 23F – Lambic aux fruits
Tu l’auras compris, la Berliner Weisse n’est pas une blanche lambda !
Visuel
La couleur est très claire avec une robe jaune et trouble à la fois. La carbonatation est effervescente et souvent comparée au champagne. La mousse est dense et épaisse, mais la rétention est souvent faible.
Arôme
L’arôme changera quelque peu avec l’âge. Une fraîcheur associée à une note acide aigüe dominera probablement, enregistrant un niveau modéré à moyennement élevé. Un caractère discret de blé peut être perceptible, comme de la pâte à pain crue, ou même, en combinaison avec le caractère aigre, du levain. Un caractère fruité modéré, souvent de citron ou de pommes acidulées, est généralement présent. Un peu de vieillissement peut augmenter le caractère fruité et créer un arôme fleuri modéré. Il ne devrait pas y avoir d’arôme de houblon, quel que soit l’âge. Elle peut également présenter un caractère funky si des brettanomyces (levures) ont été utilisés pendant la fermentation.
Saveur
Saveur d’acidités lactiques fortes et nettes avec un arrière-goût plus faible de saveurs de pâte, de pain et de grain de blé. L’aigreur est équilibrée : aucune amertume ou saveur de houblon n’est présente. L’équilibre penche toujours du côté de l’acidité, mais il doit y avoir un fond de malt détectable. L’acidité ne doit jamais donner l’impression d’être vinaigrée. Elle peut avoir une qualité faible à faible-moyenne de pomme acidulée ou de fruité citronné.
Sensation en bouche
Corps extrêmement léger, combiné à une carbonatation et une acidité élevées pour créer une course pimpante et élastique sur le palais. Aucune présence d’alcool perceptible. La finale est vive et sèche.
Avec quels plats l’associer ?
Le corps léger de la Berliner Weisse, sa carbonatation très rafraîchissante et sa faible teneur en alcool lui confèrent une acidité vive. La façon dont elle se marie avec la nourriture dépend en grande partie de la façon dont elle est servie. La Berliner Weisse est souvent coupée avec une sorte de sirop plutôt que servie directement. Comme indiqué précédemment, les sirops de framboise ou d’aspérule sont les plus populaires. En fait, avec quelques sirops soigneusement sélectionnés et quelques bonnes bouteilles de Berliner Weisse, il est possible de l’associer à n’importe quel plat, ou de l’associer à plusieurs plats différents.
- La Berliner Weisse non sucrée se marie bien avec des fruits acidulés : pensez aux desserts ou aux salades de fruits. Par exemple, un mélange de légumes verts légers avec des fraises et des kumquats (petits agrumes), ou une coupe de desserts aux cerises, framboises, fraises et melon acidulé. Tu peux intensifier l’association en ajoutant un peu de sirop de framboise à votre Berliner Weisse.
- La Berliner Weisse pure, ou avec un peu de sirop de citron, peut faire des merveilles avec des plats de poisson comme le ceviche. Elle sera également parfaite avec des plats asiatiques un peu épicés ou des salades printanières légères de noix et d’œufs durs.
La Berliner Weisse en quelques chiffres
- Densité initiale : 1028 – 1032
- Densité finale : 1003 – 1006
- IBU : 3 – 8
- EBC : 2 – 3
- Alcool : 2,8 – 3,8 %
Notre sélection
La Berliner Weisse “Champagne du Nord” de la brasserie Vrooden.
Voir cette publication sur Instagram
La Hitzefrei, une Berliner Weisse à la pêche de la brasserie O’clock Brewing.
Voir cette publication sur Instagram
La Velvet, une Berliner Weisse shake vanille et framboise de la brasserie Hoppy Road.
Voir cette publication sur Instagram